26. Assemblage des éléments
Agitation. Grouillement d’ingénieurs en combinaison bleue et casque blanc.
Allées et venues de camions chargeant et déchargeant ce qui ressemblait aux énormes pièces d’un puzzle en relief.
Au terme de plusieurs mois d’un travail acharné dans les nouveaux locaux sécurisés, Papillon des Étoiles V commençait à exister en pièces détachées dans les immenses hangars.
Au jour dit, les éléments furent assemblés pour former le vaisseau spatial dans son ensemble.
Imposant comme un building, l’engin avait quelque chose de disproportionné.
1 000 mètres de hauteur, telle était la taille du premier segment du cylindre contenant lui-même 32 autres segments.
500 mètres de diamètre.
Les oiseaux, intrigués, tournoyaient autour de sa cime. Cent fois plus grand, plus gros, plus lourd que toutes les fusées jamais lancées jusque-là, Papillon des Étoiles V parvenait à créer une zone ombragée dans le désert.
Chacun pouvait enfin voir le vaisseau spatial de nouvelle génération dans son ensemble. Un vrai monument de métal fin. Dans la partie basse, l’« abdomen », se trouvait le premier étage, équipé de 30 énormes réacteurs coniques disposés en croix comme l’empennage d’une flèche.
Au-dessus, le deuxième étage de taille plus restreinte contenait lui aussi une dizaine de réacteurs disposés en croix.
Puis venait le troisième étage, le thorax de 1 kilomètre de haut, énorme cylindre qui était la zone de vie proprement dite.
Enfin, surplombant le cylindre, la zone de pilotage, la tête du papillon. Cette excroissance posée sur le cylindre possédait la particularité d’être flanquée de deux grosses sphères transparentes qui formaient deux yeux globuleux.
Yves Kramer présenta son œuvre à son mécène.
— Ici, dans la sphère droite, le poste de pilotage de la partie fusée terrestre. Et là, dans la sphère gauche, le poste de pilotage des voiles solaires. Mais la partie décollage terrestre pourra devenir un poste de navigation parallèle durant le vol.
— Subtil. Et là, dans la zone épaisse du cou qui relie la tête au thorax ?
— La zone de transit où l’on mettra l’équipage assis au moment du décollage et la soute qui contient la navette d’atterrissage, pour l’arrivée sur la planète étrangère.
— Une fusée ?
— Non, ce petit vaisseau est à propulsion chimique puis à propulsion photonique comme le Papillon des Étoiles. Satine a eu l’idée de le baptiser Moucheron.
— Ah, Satine Vanderbild, elle est vraiment une précieuse auxiliaire, dit-il machinalement.
Gabriel Mac Namarra admirait l’immense vaisseau. Yves lui expliqua ensuite que sur tout le pourtour de l’engin étaient placés des panneaux solaires incurvés pour épouser parfaitement la forme du cylindre. Entre deux panneaux solaires il montra les bandes brillantes formées par les baies vitrées servant de hublots.
— Bravo, Yves, vous ne pouvez pas savoir avec quelle impatience j’ai attendu ce jour. Désormais vous n’êtes plus un simple ingénieur, vous êtes un inventeur. Vous avez inventé cette machine géante.
Gabriel lui donna une bourrade amicale.
Dès que ceux qui travaillaient au centre « D.E. » purent voir le Papillon des Étoiles toutes les énergies se cristallisèrent.
Dans Chenille-Ville les entraînements visant à préparer les constructions et la gestion des éléments internes du cylindre s’intensifièrent. On découvrit encore quelques saboteurs mais cela ne perturbait plus personne. On les considérait semblables à des orages, petits phénomènes agaçants et dangereux mais qui n’empêcheraient pas la récolte de pousser.
Même l’explosion qui dévasta un hangar n’affecta pas le moral.
Cependant, un problème inattendu vint troubler le bon fonctionnement général. Satine, s’étant disputée avec Adrien pour des raisons « personnelles », avait décidé de quitter le Centre et d’abandonner le programme. La perte de l’assistante n’était pas négligeable. En quelques mois la jeune femme était devenue le lien privilégié entre les techniciens et les passagers.
En outre elle était le pont entre Yves Kramer et Élisabeth Malory. Elle s’était révélée depuis le début le meilleur soutien d’Adrien Weiss pour créer son monde écologique cohérent.
Gabriel Mac Namarra la supplia de rester, lui proposant même de doubler son salaire. Mais, sa déconvenue avec le psychologue l’ayant profondément blessée, elle préféra prendre le large en demandant que personne n’essaie de la rappeler.
Elle promit de ne rien révéler sur ce qu’elle savait du projet « D.E. »
Effet corollaire, la défection de Satine jeta Adrien dans une période de total abattement, voire de prostration, pour finir dans une drague frénétique.
Son terrain de chasse était évidemment les plus jeunes femmes. Sa barbe se transforma en moustache. Il abandonna l’usage de sa pipe pour la remplacer par des chewing-gums qu’il mâchait en permanence. Il s’habillait tout le temps en tenue de sport.
Enfin, comme un problème n’arrive jamais seul, Gabriel Mac Namarra eut une attaque cardiaque. On dut l’hospitaliser d’urgence pour l’opérer, et l’action industrielle Mac Namarra chuta en Bourse. Les investisseurs, conscients que l’empire Mac Namarra tenait avant tout grâce au charisme et à la santé de son unique leader, perdaient confiance. L’argent, qui jusque-là n’avait jamais fait défaut pour payer les futurs cosmonautes, les ingénieurs, les vigiles et les achats de pièces et de matières premières, commença à manquer.
Un nouvel attentat à la voiture piégée détruisit l’entrée du Centre et, tuant l’homme du poste de contrôle, acheva de troubler le jeu.
Une fois de plus le facteur humain venait tout perturber.
Le doute revint, lancinant.
Quelqu’un prononça la phrase : « Ce projet a la poisse. »
Les travaux prirent du retard. Pour ne rien arranger une sorte de tempête s’était levée, venue du désert, recouvrant tout d’une fine poussière beige et collante.
Élisabeth décida d’aller frapper au bureau d’Yves Kramer.
— Je crois que maintenant il faut qu’on parle tous les deux, lança-t-elle sans préambule en posant ses béquilles près du fauteuil dans lequel elle s’effondra avec un soupir douloureux.